Exercice de vertu pour les uns, utopie sympathique pour les autres, ce courant situé à la frontière entre morale, philosophie et politique peut paraître déroutant. Ce qui est sûr, c'est que c'est une tendance qui monte, fait l'objet de nombreuses études ou articles (voir ici le dossier de L'Express publié en mai dernier) et nous invite à revisiter tous les champs de la société : le management, les rapports hiérarchiques, le rôle-même des entreprises et l'ensemble des rapports humains. Désigné par ce nom anglo-saxon si délicat à traduire sans mièvrerie (le terme désigne tout autant le soin, le souci, la solidarité, l'empathie, la sollicitude, le dévouement), le care s'enracine de manière certaine dans l'attention aux autres. Il a déjà ses gourous : la philosophe Fabienne Brugère en France, la psychologue et philosophe Carol Gilligan ou la professeure de sciences politiques Joan Tronto aux Etats-Unis… Beaucoup de femmes, car le care est initialement apparu dans les années 80 comme une réponse féministe à la politique libérale de Ronald Reagan : les premières théoriciennes du care opposaient en effet une vision prétendument "féminine" de la morale - caractérisée par l'attention, le souci d'autrui et le sens des responsabilités - à une vision plus "masculine", centrée sur la justice et l'autonomie. Plus largement, le care est désormais présenté comme un modèle de société où les hommes ont un rôle à jouer, un projet politique qui revalorise les activités autour de l'attention à autrui, l'altruisme célébré par Mathieu Ricard dans son dernier livre.
La nécessité de valoriser, de mieux rémunérer et de mieux considérer les métiers du soin (d'ailleurs très largement féminisés) est devenue l'une des raisons d'être du care… et suppose notamment, au nom de l'égalité, un investissement des hommes dans ces professions dites "féminines". Naturellement, le vieillissement de la population (en 2050, les plus de 60 ans représenteront près du tiers de la population) fait du care un projet politique à part entière. Mais pas uniquement : le care se veut aussi une alternative au manque d'engagement collectif, à la solitude d'une partie de la population, à la lassitude d'un monde économique dominé par la compétition, à la dureté de choix dictés par le PIB et à la non-durabilité de nos modes de vie. De manière surprenante, nous indiquent les chantres du care, les séries télé (notamment américaines) sont un lieu d'épanouissement privilégié de cette vision du monde et un vecteur avantageux pour la transmission rapide des idées qui le fondent. Série la plus regardée en France en 2010, Grey's Anatomy encouragerait ainsi ses fans à se soucier d'autrui en les exposant au quotidien d'un hôpital - au point que sa scénariste, Shonda Rhimes, a été classée par le magazine Time parmi les 100 hommes et femmes dont le talent ou l'exemple moral transforme le monde. Mais la vie économique n'échappe pas à la tendance : en 2013, François-Henri Pinault, le patron du groupe de luxe PPR, a ainsi rebaptisé son empire Kering - un nom incongru qu'il a justifié par son attachement au ker (la maison, en breton) et au care, "cette manière unique de prendre soin de ses marques, de ses collaborateurs, de ses partenaires et de l'environnement qui caractérise le groupe."